N’attendez
pas ici des propos douceâtres au sujet des rapports entre les petits fils et
les grand-pères. Ni des phrases sirupeuses sur le temps qui passe ou l’avenir
que certains disent lire dans le regard des mômes.
Je
vous propose plutôt une réflexion sur deux façons de vivre en aïeul, celle de
mon ami l’architecte Pancho Ayguavives, installé à Gaillac depuis pas mal de
temps, et moi même, barcelonnais aux vagues origines suisses et vivant à quelques
encâblures de la ville qui m’a vu naître.
Le
sieur Ayguavives, de deux ou trois ans mon aîné, a commencé plus tôt que moi-même
sa carrière de grand-père. Il m’a tout de suite envoyé des photos, vanté la
profondeur du regard des nouveau-nés, les expressions de famille qu’il a décelé
au primer coup d’oeil, les gestes et les gargouillis chargés des meilleurs
augures.
Quant
à mon primer, ce fut une première. En tous les sens. Une fillette née à la
maternité d’un hôpital privé barcelonnais. Très belles vues sur la ville depuis
la fenêtre de la chambre, pleine de monde comme le métro à treize heures. Un
être délicat aux yeux vifs, curieux et froids. Gardez-moi le secret, je vous en
prie.
Deux
ans plus tard le même fils et sa femme ont récidivé et plus tard encore ma
fille aînée s’est mise à la tâche et mon troisième petit fils, un garçon, est
né à Vilafranca del Penedes, un petite ville entourée de vignes à quarante-cinq
bornes de Barcelone.
De
temps à autre je m’approche chez eux et j’ai droit à quelques minutes d’enfant.
Il a cinq mois, donc il dort ou il tête, agrippé au sein maternel. Quand je
l’ai dans mes bras –et quand il ne dort pas- il me regarde dans les yeux. Un
regard droit, impitoyable, fixe. J’en ai froid dans le dos, je vous l’assure.
Pancho
Ayguavives m’entretient au sujet des fils de ses fils en termes d’une tendresse
croissante, brassée avec des souvenirs ponctuels de certaines époques de sa
vie, de ses succès et de ce qu’il appelle ses erreurs, pas plus graves ni plus
nombreuses ni faites d’un autre matériel que les faux-pas du reste des humains.
Il tire des conclusions, Pancho. Tout cela -ses petits fils- lui paraît une
compensation. Une sorte de « cadeau de fin de parcours » à sa mesure
d’homme foncièrement bon, honnête et d’une seule pièce.
De
ma part j’avoue une certaine angoisse. L’enfant que je tiens dans mes bras –ou
qui parle avec moi, parce que les mômes, ça pousse- quand je visite mes
fils-parents, le miteux me rappelle de façon implacable que sa vie ne fait que
commencer et qu’elle s’exprime en termes de futur, alors que la mienne est en
perte et prend de la vitesse, s’accélérant en cours de descente. Une angoisse
qui s’ajoute à une autre, celle de l’impossibilité matérielle de lui
transmettre l’accumulé pendant ces soixante-cinq ans de vie. À quand un USB pour
vider notre disque dur et le verser dans le cerveau d’un enfant ?
Ces
deux angoisses, croissantes, m’empêchent, je l’avoue, de voir plus souvent les
enfants de mes fils. Égoïsme ? C’est bien possible, il faut bien avoir un
ou deux défauts. Ou trois, à la rigueur.
Je
vois mon ami l’architecte comme un être infiniment plus sensible que moi. Plus
réceptif, plus mature aussi, capable de transmettre à ses quatre ou cinq petits
fils ce que les enfants attendent de leurs vieux parents.
Pancho
laissera à la marmaille un bon souvenir de grand-père comme on les aime,
pouvant passer des heures avec les enfants, leur communicant petit à petit le
savoir, les expériences, ce qu’il a fait, dit et entendu. Les bâtiments
construits, les grands projets et les autres, plus petits mais qui lui tiennent
à coeur. Un grand-père qui aime s’asseoir au soleil en parlant de l’Andalousie
de ses vacances de môme, pendant que ses petits fils l’écoutent la bouche bée,
posent des questions qui n’ont rien à voir avec le sujet et lui demandent
n’importe quoi.
Un
homme essentiellement bon, je vous l’ai dit. Et propre d’esprit.
Pierre
Roca
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