Je
n’ai jamais été spécialement porté sur les senteurs. Eaux de cologne ou parfums
plus ou moins masculins.
J’apprécie,
en revanche, les parfums de l’élément féminin et je garde des souvenirs
délicieux au sujet des quelques rares épisodes de ma vie liés à cette facette
ludique et sentimentale du sens de l’odorat. Des cadeaux offerts à certaines
femmes, des découvertes à même leur peau douce.
Écolier
de secondaire en Suisse, les seize ans me permirent de supposer que les filles
avec qui je dansais aux bals de campagne des alentours d’Yverdon-les-bains
chaviraient en sentant quelque odeur flatteuse.
J’épargnais
donc un peu d’argent et, après avoir consulté les pubs qui paraissaient dans
« Lui » je m’achetais une eau de cologne « for men » vantée
par le magazine en question : Pullman, de Dana.
Le
samedi arrivé, mon ami Amédée –il avait 18 ans et une Simca Aronde d’occasion,
peinte par les deux en « british racing green » dans une remise- et
moi-même décidâmes d’aller à un bal qui avait lieu à Neuchâtel.
Fringué
et, surtout, parfumé, je fis mon entrée á l’enceinte à côté de mon copain, jujant
d’un regard désabusé les filles présentes.
Je
proposais le premier « slow » à une brunette chaussée, je m’en
souviens très bien, de très belles bottes en daim. Pendant la danse nous ne
parlions guère, mais je me sentais tomber peu à peu amoureux de son parfum. Un
parfum capiteux quie faisait que mes sens s’envolent pour planer très très haut
dans un merveilleux rêve d’adolescent en mal d’amours.
Pendant
une des pauses, et pendant que la fille aux belles bottes restait à la table en
sirotant un Coca, je fis une escapade aux toilettes. J’en profitais pour humer
fort mon parfum, histoire de confirmer son effet sur ma copine de danse, mais
je constatais, surpris, qu’il s’agissait du même qui m’enivrait pendant les
évolutions rythmiques. J’en fis la preuve deux ou trois fois jusqu’à en être
convaincu. Ça alors !
De
retour auprès de la fille en question je lui demandais quel était son parfum.
« Aucun » me dit-elle. « Je n’en porte jamais ».
Et
là, je vous l’assure, je me suis senti assez bête. Ou con, je vous laisse
choisir. J’étais presque tombé amoureux de l’odeur avantageuse de l’eau de
cologne que j’avais mis après la douche. Dieu que la vie est cruelle... Cruelle
et facétieuse.
Quelques
années plus tard je découvris l’Eau Sauvage, de Dior, cologne à laquelle je
restai fidèle pendant plus de dix ans.
Vint
après une époque de vaches maigres et je dus y aller mollo côté dépenses
cosmétiques. Parfois un flacon, puis plus rien ou alors de la cologne pour bébé
après la douche.
Il
y a deux mois j’ai lu un article de mon admiré Thierry Richard, un type qui
fait dans les magazines virtuels haut de gamme. Tout ce qu’il vante est à la
dernière mode, des pochettes aux bagnoles, des bars aux Relais & Châteaux,
des restos –secrets et cachés dans des coins inattendus- aux jeans ou aux
godasses. Tout.
Il
a écrit quelque part –peut-être dans son très élitiste « Les Grands
Ducs »- sur un parfum quasi secret et dont le nom m’a plu dès la première
lecture : « L’Eau Scandaleuse », vendu sous le comptoir à
travers d’une adresse secrète et conçu, c’est l’essentiel, par quelqu’un qui
s’appelle Anatole Lebreton. Je me suis mis à l’ouvrage pour trouver des traces
de ce parfumeur et monsieur Google, un mec à l’agenda puissante, m’a mis sur la
piste avec adresse électronique en sus.
Un
courrier minime et réponse très aimable au bout de quelques jours, me donnant
la possibilité d’acheter ou celle de tester son arôme avec l’échantillon qu’il
m’enverrait de façon gratuite. J’ai choisi l’échantillon et il m’en a envoyé
deux. Deux tubes d’essai minuscules avec chacun une senteur différente. D’un
côté « L’Eau Scandaleuse » en question, de l’autre « Bois
Lumière » dont je n’avais entendu parler.
J’ai
usé sans en abuser du contenu des deux tubes en verre. J’ai commencé par
« Bois Lumière », déposant après la toilette matinale et sur la peau
de mon index une goutte à peine visible et frottant ensuite la face intérieure
d’un de mes poignets, répétant ensuite le geste avec l’autre poignet, puis avec
le creux formé par le cou avant de prendre le nom de poitrine. Poitrine velue
dans mon cas.
La
persistance du parfum maintenait l’odeur à longueur de journée en un jeu
absolumment personnel, dédié à moi-même plus qu’aux autres ou, parfois, en
proposant le partage à quelque femme privilégiée.
L’utilisation
avare, plus que modérée, du parfum a permis que la dose minime de « Bois Lumière »
contenue dans le tube d’essai dure une bonne dizaine de jours, après quoi je me
suis mis à la tâche avec « L’Eau Scandaleuse » en suivant le même
patron. Doigt subtilement humidifié, transfert aux poignets, puis à cette
partie du corps qui sert de limite entre le cou et la poitrine, velue ou
glabre.
Mes
conclusions ? Pour un type comme moi, peu habitué à l’usage des senteurs
et en pleine soixantaine, « L’Eau Scandaleuse » est en effet, le nom
de trompe pas, un rien scandaleuse. Trop évidente pour moi mais que j’imagine
très bien sur la peau d’un homme de moins de quarante berges.
Mon
parfum c’est définitivement « Bois Lumière ». Il établit un dialogue
intime avec les sens du porteur, dialogue privé auquel on peut convier des
êtres choisis ou garder jalousement pour soi-même, histoire de se requinquer
durant la journée avec cette subtile –très subtile- dose boisée qui n’admet pas
de chichis. Parfum absolumment masculin. D’homme. D’homme solitaire, même.
Dès
que j’aurai un peu plus d’argent j’en commanderai un flacon de 50 ml et en
ferai un usage serré comme celui que j’ai pratiqué avec les échantillons. Ce
sera la meilleure des façons de remercier monsieur Lebreton, en me donnant ce
plaisir matinal et difficilement transférable.
Lu
luxe bien vécu, finalement, est une question absolumment personnelle, intime et
privée. Un dialogue avec soi-même avec, parfois, des invités choisis.
Des
invitées. Choisies.
Pierre Roca
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