Mon ami –et client
occasionnel- Pancho Ayguavives me remet ce qu’il a écrit après le décés de
Roger, un homme de vingt ans son aîné avec lequel il a lié, dans un délai de
quatre ans imposé par les circonstances, une amitié généreuse, aux multiples
découvertes et qui a fait de ces deux hommes, aux vies bien remplies mais aux
itinéraires divergeants, des amis dans le meilleur sens du mot.
J’y retrouve deux formes de
connaissance. Celle de Roger, intensive, vouée au terroir, aux gens qui l’habitent
et à la réflexion, regarde de tout près les replis deu paysage, les signaux qui
annoncent les saisons, le vol des oiseaux, les changements du temps, les
averses, les vents, les nuages et les rapports intimes et souvent mystérieux
entre tout cela, la vie et les habitants. Les mécaniques des
moissonneuses-batteuses, la race des moutons que l’on perçoit au loin. Le
soleil, le vent. Les vents.
La connaissance de
l’architecte Ayguavives, en revanche, issue d’une intelligence privlégiée, est extensive
et n’a connu d’autres limites que celles de la planète. Voyages, pays,
missions, gens, personnages souvent hors du commun, amours, chagrins,
découvertes, craintes et toujours, au dessus de tout, une curiosité tous
azimuts qui l’a mené -le poisson qui se mord la queue- jusqu’à Roger.
Des points en commun ?
Par douzaines, vous vous en doutez. La sagesse qui est arrivée de la main de
l’âge, les longues causeries sans vouloir imposer son point de vue, les
silences éloquents, les minimes plaisirs si bons à partager.
Des rapports sans doute
enrichissants qui ont déposé au fin fond de leurs âmes de braves gens, d’hommes
essentiellment bons, les traits à peine visibles de cette sensibilité à deux.
Si vous m’y poussez je vous
dirai que c’est du Ramuz aux arômes de vigne et de lavande. Un Ramuz sans
horizons de hautes montagnes mais avec la même omniprésence du pays, de la
terre, de l’ouvrage bien fait, des arômes qui se faufilent de la cuisine et
vous embaument la maison. Les petits métiers, les pantalons en toile, les
chaussures qui durent des années.
Lisez donc le texte de
monsieur Pancho Ayguavives, architecte de son état, créateur, homme de culture
sans en avoir l’air, bonvivant et concocteur des meilleures paellas du Tarn.
Laissez couler la larme
furtive si c’est le cas.
AU REVOIR ROGER !
Pancho Ayguavives
30 septembre 2012
Roger Londres, est décédé la nuit du jeudi 27 septembre, pendant qu’il
dormait.
Il avait 88 ans
Je connaissais à Roger depuis environ 4 ans, temps très court par rapport
à sa longue trajectoire. Je ne peux donc témoigner que sur sa dernière ligne
droite.
Je l’ai connu quand il venait d’arriver à la Maison de Retraite de Saint
André à Gaillac, ou j’étais bénévole des
VMEH.
Au début, nos rencontres se limitaient à des courtes visites
hebdomadaires : il me racontait les étapes de sa vie ou bien il me mettait
au courant de son quotidien dans la Maison de Retraite.
Très vite il avait commencé à me lire ses brouillons des poésies en
cours d’élaboration. Puis nous avons commencé à travailler en équipe : des
qu’un poème était prêt, je le tappais à l’ordinateur.
D’autres jours il me racontait en détail le Canal du Midi, les secrets
des moteurs Citroën, ou l’origine du nom occitan « soleilhou ».
Puis, en 2011, il décida d’emménager à l’Oustal de Cahuzac, petite
maison de retraite pour quatre pensionnaires. Malheureusement, et malgré les
efforts des responsables, dans cette maison il se trouvait trop seul.
Les dimanches j’allais le chercher à l’Eglise du village après la Messe
et nous allions souvent dêjeuner au petit restaurant de la place.
Un beau jour il me proposa d’aller déjeuner à la forêt de Gressigne et par
la suite il aimait à me proposer chaque dimanche un endroit différent.
Mais malgré tout, malgré que son fils Alain habitant Carcassonne venait
souvent le voir, Roger souffrait trop de
solitude.
Depuis 8 mois il vivait au sein d’une famille d’accueil dans la route de
Senouillac, où il se sentait beaucoup mieux, entouré d’autres résidents et des
membres de la famille.
Nos dimanches étaient bien remplis. Après la Messe à l’Abbaye de Saint
Michel, et déjà dans la voiture il me regardait avec un grand sourire et
disait : « Cap vers Saint Antonin ! »…ou bien :
« Cap vers Monestiés ! », « Cap vers
Salvagnac ! »
Nous déjeunions dans une terrasse et puis il m’indiquait l’itinéraire du
jour : « Aujourd’hui nous allons visiter la Foire des Battages, ou
bien l’abbaye de Beaulieu ou bien le cimetière de Campagnac.
Roger en profitait pour m’informer sur les vignobles que nous traversions
et sur les gens qu’il connaissait dans le coin.
Notre dernière escapade, il y a quinze jours, fut à Castelnau de
Montmirail, où à la sortie de la Messe les gens venaient nombreux le saluer.
Roger était aimé dans la région, et, surtout, il aimait la région.
Roger aimait sa région, la connaissait par cœur et savait l’écrire en
poésie.
Roger était un poète de la
culture occitane !
Voici un de ses poèmes :
« Le Canal du Midi, merveille de l’époque,
Relie Sète à Bordeaux en franchissant Naurousse,
Le génie de Riquet exclu toute équivoque
Son œuvre sert toujours…la mer vient à Toulouse »
Roger était un homme
exigeant.
Il n’était pas un rouspéteur, NON ! Il était simplement un homme
exigeant, tant avec soi même comme avec les autres, et par conséquent il savait
s’indigner…
« Indignez-vous » disait Stéphane Hessel.
Oui, il pouvait s’indigner tant contre un discours politique comme pour
trop de sel dans la soupe de son repas. Il m’appelait pour me signaler une
erreur d’orthographe sur un poème mal copié à l’ordinateur ou pour m’informer
que le chien de sa voisine dormait dans son fauteuil de l’Oustal !
Il ne comprenait pas les conversations trop rapides, il ne supportait
pas qu’on lui coupe la parole, ou qu’une infirmière ne l’écoute pas ou que le téléphone
portable ne marche pas. En définitive, il comprenait mal cette époque qui s’accélère
sans raison et qui ne prend plus le temps de bien faire les choses.
Le mercredi dernier -il ne savait pas que c’était son dernier jour– le
Dr. Combes vint le visiter et il resta longuement avec lui, après quoi Roger
lui dit : « Je vous remercie vraiment, vous êtes un bon médecin,
parce que vous savez écouter vos patients ! »
Roger était un homme engagé
dans sa foi.
Il était un croyant actif, et pas seulement parce qu’il allait à la
Messe les dimanches.
Il avait passé de longues années à parcourir la région pour apprendre le
catéchisme aux gens.
Il connaissait les Evangiles par cœur. Roger avait attendu longtemps
avant de se décider à me parler de ses croyances profondes, et il raisonnait
toujours ses explications par des références très précises dont il se souvenait
par choeur : « ceci est écrit dans le chapitre 3, versets 18 à 27 de
Saint Mathieu »…etc
Oui, Roger est parti, mais les valeurs qu’il nous a transmises resteront
avec nous.
Merci mon ami !
Pancho
Voilà. Je vous encline à ne pas juger à la va-vite le
texte que vous venez de lire.
Ça peut vous paraître naïf mais ce n’est qu’un
mirage, qu’une impression que deux minutes de réflexion vont diluer.
Ce qu’a écrit mon ami Ayguavives est un texte au
respect infini, à l’admiration tranquille et, disons-le, à la tendresse plus
qu’évidente.
Prenez le temps de lire, de relire et d’y revenir
encore. C’est trop rare et trop vrai pour ne pas y faire attention.
Pierre Roca